Accueil > Ressources > Chroniques de livres > "De la convivialité. Dialogues sur la société à venir"
mpOC | Posté le 11 juillet 2011
chroniques de livres - Alain Caillé, Marc Humbert, Serge Latouche, Patrick Viveret, , La Découverte, Coll. "Cahiers libres", 2011, 196 p.
Derrière le titre de ce livre se cache la question que Marc Humbert a posée à la Maison franco-japonaise de Tokyo en juillet 2010 à Alain Caillé, Serge Latouche et Patrick Viveret dans une invitation à débattre sur le thème « Vers une société conviviale avancée ». Une affirmation étonne avant même la question : « Si l’on veut donner corps à la résistance des mouvements de la société civile qui, à l’échelle mondiale, veulent garder l’espoir dans l’avenir en proclamant qu’"un autre monde est possible", il faut formuler l’espérance dans un autre langage que celui de l’anti-capitalisme. » Surtout, donc, déjouer les pièges pour approcher le radicalement possible dans les réponses urgentes à la question dont voici les deux formulations : « Une société où la qualité de la vie serait l’objectif prioritaire de son fonctionnement et de sa conduite est-elle possible ? » et « Quelle société radicalement différente dans son fonctionnement et sa conduite peut-on tenter de construire dont la grande majorité des populations pourrait dire qu’elle est ’’une bonne société’’ ? »
Marc Humbert choisit le célèbre essai La convivialité d’Ivan Illich comme socle de la rencontre mais ne peut s’empêcher de citer « parmi ceux qui incitaient alors à la révision complète des modes d’organisation de nos sociétés », Ernst Schumacher et son Small is beautiful, une société à la mesure de l’homme ainsi que le rapport Meadows Halte à la croissance ?
En 1973, Illich écrit : « Alors il sera possible d’articuler de façon nouvelle la triade millénaire de l’homme, de l’outil et de la société. J’appelle société conviviale une société où l’outil moderne est au service de la personne intégrée dans la collectivité, et non au service d’un corps de spécialistes. Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil. » Par là, Alain Caillé ouvre la porte « Vers le convivialisme », interroge les limites des fondements utilitaristes de la démocratie et doute : « Une telle croissance sans limites devient désormais de plus en plus problématique : saurons-nous, en l’absence d’une croissance infinie, trouver les moyens de vivre ensemble, démocratiquement et d’une vie digne, sans nous massacrer les uns les autres ? »
Patrick Viveret : « Nous sommes dans une situation où le modèle de l’évitement, construit sur le récit de la croissance afin d’échapper à ces questions radicales de la barbarie au cœur de la civilisation, est arrivé en bout de course. » Il propose d’arrêter le balancier de la démesure au mal de vivre et d’en finir avec son point bas, le mal-être, en posant un trépied, un triple principe : résistance créatrice, vision transformatrice et expérimentation anticipatrice, soit REV.
Serge Latouche cadre l’a-croissance dans « l’autolimitation des besoins et l’abondance frugale » et par « la réhabilitation de l’esprit du don et la promotion de la convivialité » pour trouver ou retrouver « le bonheur dans la frugalité conviviale ».
Stratégie de transitions vers le bien-vivre, convivialisme, écosocialisme plus juste et plus démocratique, socialisme radicalisé et universalisé, Marc Humbert résiste, les transforme, anticipe et unifie les textes puissants de ses comparses : « Lutter intelligemment contre l’asservissement de l’homme par les outils et garder à l’esprit que "l’objectif essentiel, le seul, est de bien vivre, ensemble" ». Lors de la parution ce livre, en janvier 2011, Humbert ne pensait sans doute jamais devoir écrire, ce 9 mai 2011, un article prouvant la réalité de l’asservissement à la démesure(1). Combien d’autres Tchernobyl ou Fukushima faudra-t-il pour que l’homme ne s’asservisse plus à des outils non conviviaux pour des dizaines de millénaires ?
Luc Vandeput
(1) Voir Marc Humbert, « Fukushima alerte niveau 7, Une catastrophe de la même ampleur que celle de Tchernobyl », Revue du MAUSS permanente, 9 mai 2011 [en ligne]. http://www.journaldumauss.net/spip.php?article807.