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mpOC | Posté le 31 janvier 2012
Tous de trop ?
Penser une société où chacun ait sa place.
Les réformes se succèdent dans notre pays, laissant un goût très amer dans la bouche des citoyens. Après nous avoir très pédagogiquement expliqué que nous devions sauver les banques d’une faillite dont elles étaient responsables et ce pour éviter une catastrophe qui aurait touché chacun d’entre nous, on nous explique maintenant que les responsables de la crise, c’est… nous.
Tous de trop ?
Penser une société où chacun ait sa place.
Les réformes se succèdent dans notre pays, laissant un goût très amer dans la bouche des citoyens. Après nous avoir très pédagogiquement expliqué que nous devions sauver les banques d’une faillite dont elles étaient responsables et ce pour éviter une catastrophe qui aurait touché chacun d’entre nous, on nous explique maintenant que les responsables de la crise, c’est… nous.
Car bien entendu, nous sommes tous en trop. Nous vivons tous aux crochets de quelqu’un. Les chômeurs vivent au détriment de ces pauvres travailleurs, les pensionnés vivent grassement aux crochets de la classe laborieuse, les salariés, insouciants, vivent de leurs patrons qui leur donnent toujours trop. Les fonctionnaires, ces fainéants en surnombre, vampirisent l’Etat qu’il faudrait « dégraisser ». Sans compter toutes ces personnes en âge de travailler et qui pour des raisons familiales, ne travaillent pas. Et il faudrait encore que l’Etat leur verse une pension de survie ! Enfin, ne parlons même pas des étrangers, qui c’est bien connu, vivent aux crochets des Belges. Et chacun, bon an mal an, tente de justifier sa position, estime que c’est normal qu’on réduise les congés parentaux et les crédits temps, trouve logique de travailler plus et plus longtemps et se ronge de culpabilité lorsqu’il est au chômage. Même les personnes malades sont plus ou moins coupables de l’être, sans parler des enfants qui conduisent leurs parents à limiter leur temps de travail et nuisent à la liberté de leur mère, car c’est bien connu, pour paraphraser un petit monsieur moustachu d’il y a 70 ans, le travail rend libre, n’est-ce pas ?
Comme le dit Daniel Mermet sur France Inter dans son émission « Là-bas si j’y suis » du 6 décembre 2011, nous vivons le triomphe des idées qui ont fait faillite. Prisonnières de la logique croissantiste, les banques sont devenues de plus en plus grosses, « too big to fail », dit-on. Nous avons été obligés de les renflouer, mais au lieu de mettre en cause cette logique du toujours plus, toujours plus gros, on rejette la responsabilité sur le dos des citoyens. Quasi-faillite de Dexia, fermeture de la phase à chaud par Mittal à Liège pour délocaliser dans des pays où le travail coûte moins cher : tout cela participe de la même logique de croissance, qui démontre en fin de compte sa nocivité pour la société. Mais plutôt que de remettre cette logique en cause, on préfère expliquer au citoyen qu’il est trop chômeur, trop vieux, trop fainéant et qu’il doit vendre sa force de travail au prix du Tiers-monde pour être compétitif… Et pourtant, les profits plantureux ne sont pas engrangés par les chômeurs, les pensionnés ou les travailleurs, mais justement par ceux qui ne sont jamais remis en cause !
Notre société croissantiste n’a été possible qu’au prix du gaspillage de ressources fossiles à bon marché, ressources dont on sait qu’elles ne sont pas renouvelables et presque épuisées. Mais sachons-le aussi, la croissance a été possible grâce au faible prix du travailleur, prié d’être toujours plus compétitif. Maintenant que nous entrons en récession, la quantité d’emplois rémunérés diminue, le travailleur est donc prié de travailler plus pour moins, et chacun est plus ou moins considéré comme un poids pour les autres. Dans une société saine, il est logique que chacun contribue selon ses moyens et que chacun reçoive selon ses besoins. Or seul le travail salarié est considéré comme utile, et encore, on fait bien sentir aux travailleurs qu’ils en sont redevables. L’emploi rémunéré a d’ailleurs perdu toute une partie de son sens de service à la société. Il devient quasiment un but en soi, au point qu’on parle de « créer de l’emploi » et non pas de le partager. Les personnes qui n’occupent pas d’emploi rémunéré sont comme frappées d’inutilité. C’est une forme d’aveuglement car en réalité, une grande partie des tâches de la plus haute importance pour les hommes et la société sont réalisées bénévolement. L’accompagnement des malades, l’accompagnement des mourants, les soins aux personnes âgées et aux petits enfants, l’éducation en général et une grande partie des activités associatives et culturelles sont en dehors de toute logique économique. La perte de ces activités serait désastreuse pour l’humanité. Pourtant, la logique économique nous explique sans frémir qu’il est plus utile pour la société de fabriquer des armes en touchant un salaire que de s’occuper de son bébé en n’en touchant pas !
Face à cette logique du toujours plus gros qui méprise l’humain, face à cette logique du « tous de trop », nous objectons qu’un autre monde est possible. Nous pensons même que le choix qui se présente à nous est : soit de sortir de la logique économique, soit de sombrer dans la barbarie engendrée par la croissance des inégalités. Le Mouvement politique des objecteurs de croissance pense que les réformes en profondeur qui sont nécessaires dans notre Etat ne doivent pas aller dans le sens d’une austérité aveugle qui frappe principalement les plus faibles. Nous devons reconstruire une société à dimension humaine, une société où chacun est reconnu selon son utilité humaine et non pas économique. Un revenu inconditionnel d’existence et le partage du temps de travail rémunéré sont une partie des réformes que nous jugeons nécessaires. Des entreprises de petites tailles et une agriculture paysanne de proximité pourraient d’ailleurs être pourvoyeuses d’emplois pérennes et remplis de sens pour la société comme pour ceux qui les occupent.
Bref, même en temps de crise, nous osons croire qu’une société où chacun a sa place est possible, nous osons croire en la décroissance des inégalités, nous osons affirmer que non, nous ne sommes pas tous de trop !
Alain Adriaens et Marie-Eve Lapy-Tries, porte-parole