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mpOC | Posté le 6 mai 2012
Dans le livre « Décroissance ou récession. Pour une décroissance de gauche », publié sous le direction de Paul Aries, plusieurs des auteurs qui ont participé à cet ouvrage ont abordé la question de la récupération des idées d’un groupe minoritaire comme les décroissants. Ces diverses approches permettent de cerner comment il convient d’agir dans pour faire progresser un projet tel que celui des objecteurs de croissance.
D’abord, Stéphane Lavignotte cadre parfaitement le sujet. Il distingue la récupération par le système et la récupération par la majorité de la population. Dans le premier cas, il est fort à craindre que la récupération ne soit que celle des mots ou des raisonnements sans que cela ne s’accompagne de changements réels. La population peut alors se laisser berner et c’est un peu ce qui s’est passé avec le développement soutenable devenu durable avant de devenir croissance durable…
Par contre, « Si les mots et les imaginaires de ‘’la marge’’ sont repris par ‘’le centre’’ et que cela s’accompagne de changements profonds des comportement et des structures du dit centre, cela ne serait pas de la récupération mais le succès du travail d’influence sociétale et démocratique du mouvement minoritaire ». Comme Lavignotte pense qu’il est quasi impossible de distinguer au départ ce qui sera une influence politique réussie d’une récupération maligne, il considère que « l’intérêt est moins de chercher à ne pas être récupéré que de mener le travail d’influence d’une manière telle qu’il permette à la fois le changement des valeurs du groupe majoritaire et la construction d’une majorité capable de mettre en mouvement les nécessaires changements de structures. » Il croit dès lors qu’il faut accepter une certaine dépossession de la part des initiateurs et un certain rapport au temps ; il parle de « récupération lente ». S’appuyant sur les travaux de Serge Moscovici, il montre que des minorités actives, en développant leurs expérimentations, avaient la capacité de modifier les valeurs et les manières de faire de grands ensembles sociaux. Si le moteur du changement est l’affrontement avec le groupe majoritaire, cela doit se faire sur base de ses propres références et passe autant par l’expérimentation que par l’expression des opinions. Si l’on accepte d’utiliser les mêmes méthodes et raisonnements que l’adversaire, on perd de l’influence, ce qui est arrivé au mouvement écologiste.
Le philosophe Michel Weber exprime la même analyse : il est difficile de ferrailler sur le terrain de l’adversaire qui se centre sur les questions économiques et ne propose que des solutions techniques. Heureusement, les propres contradictions du capitalisme décrédibilisent son discours.
Jean-Claude Besson-Girard pense, lui, que pour éviter la récupération, il faut éviter de vouloir convaincre à tout prix mais plutôt affirmer, par sa pensée et par ses actes, une singularité partageable de plein gré par autrui, entrer dans le jeu des influences multiples qui interagissent à un moment donné. Il considère que tout se gâte quand une idée, même excellente, se transforme en idéologie, ce qui induit une organisation pyramidale qui impose des dogmes. Si l’on veut convaincre à tout prix, la tentation du pouvoir arrive rapidement. Une telle situation hypothétique serait évidemment à l’opposé de l’idéal démocratique de l’objection de croissance qui parie sur un « dissensus durable ».
Vincent Liégey, lui, pense que c’est en vivant et en construisant la décroissance dans la diversité, dans une logique de réseaux de collectifs, que celle-ci restera insaisissable et non récupérable, contrairement à ce qui est arrivé au développement durable, récupéré par la société croissantiste et qui a détourné les citoyens de la prise de conscience écologique.
Il propose que la décroissance emprunte divers chemins. S’il considère qu’il est impossible que la décroissance adopte la forme de organisations politiques traditionnelles, avec leur recherche du pouvoir, il ne rejette cependant pas l’idée d’influencer les partis politiques, de l’extérieur mais aussi de l’intérieur avec des personnes proches des idées de la décroissance qui peuvent y influencer les débats et parfois soutenir des initiatives de la mouvance de l’objection de croissance.
Liégey synthétise les grandes options possibles pour les décroissants en quatre niveaux d’interventions politiques qui recoupent d’assez près les types d’action imaginés par le mpOC. Il propose :
le projet : réflexion sur ce que pourraient être des sociétés de décroissance et sur la transition qui y mènerait.
le collectif : construction d’alternatives concrètes ;
la visibilité : organisation de rencontres, débats, manifestations, interventions médiatiques, qui font connaître les idées de la décroissance ;
l’individuel : simplicité volontaire et décolonisation de son imaginaire.
Ces regards complémentaires convergent vers une certaine patience, sur une ouverture au monde non décroisant qui, bien que non encore convaincu, ne doit pas être vu comme un ennemi irréductible. Le travail de conviction peut emprunter de multiples voies et la seule qui est unanimement rejetée est celle d’un volonté de prise de pouvoir et de contrainte de ceux qui rejettent les idées de la décroissance, et ce même au nom d’un intérêt que nous jugerions supérieur. ce qui est fort heureusement l’exact opposé du fascisme vert que redoutait André Gorz.