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Lettre ouverte à Corentin de Salle sur sa chronique « La croissance illimitée »

mpOC | Posté le 5 juillet 2013

A la Libre Belgique, courrier des lecteurs

Bonjour,

Nous avons lu avec intérêt la chronique de Corentin de Salle « La croissance illimitée » dans votre édition du 1er juillet 2013 (page 47).

Cette lecture a suscité la réflexion ci-après. Nous avons estimé utile de vous la communiquer pour une publication éventuelle.

En vous remerciant,

M. Gilkinet, J.Ch. Godart, Fr. Lapy, B. Legros, M-E. Tries, E. Vanhassel, J.P. Wilmotte, Objecteurs de croissance


Lettre ouverte à Monsieur Corentin de Salle, juriste et docteur en philosophie qui signe dans La LB du lundi 1er juillet 2013 une chronique avec pour titre « La croissance illimitée »

Monsieur de Salle,

Votre exercice littéraire et philosophique nous a fascinés pour plusieurs raisons qu’il nous a semblé opportun de vous transmettre. Les voici donc.

Votre sous-titre et conclusion « prétendre que la croissance est nécessairement limitée est une erreur. Vouloir la limiter, c’est vouloir entraver ou enrayer le développement humain  » renvoie à un débat qu’on voit enfin poindre dans les médias. Ce n’est pas nous, Objecteurs de croissance, qui allons-nous en plaindre. Bien au contraire même si souvent les termes en sont mal posés. A cet égard, on peut s’étonner du procédé rhétorique que vous utilisez qui, pour susciter l’intérêt du lecteur, vise à vous placer dans la minorité alors que l’idée de la croissance infinie est largement majoritaire et prévaut dans le monde politique et économique. Devrions-nous en déduire que nos propos étayés gagnent enfin du terrain et que vous-mêmes vous trouvez de plus en plus démuni pour les contrer ?

Nous pouvons d’ailleurs constater, et c’est au philosophe que nous nous adressons ici, que votre phrase peut aisément s’inverser ainsi : « prétendre que la croissance est nécessairement illimitée est une erreur. Vouloir la considérer comme telle, c’est vouloir entraver ou enrayer le développement humain ». Bien évidemment la nature du raisonnement comme les présupposés philosophiques qui mènent à cette inversion sont différents. Vous en trouverez quelques éléments ci-dessous.

  • La biodiversité qui sous-tend les écosystèmes est en péril et ce péril est bien dû à une action anthropique amenée par l’approche philosophique que vous défendez : la possibilité d’agir sans limites. Si la biodiversité et les écosystèmes liés s’effondrent nous pourrons nous rendre compte que c’est bien la perception d’une possible croissance sans limite qui enrayera notre développement humain. D’ailleurs le futur utilisé dans notre phrase pourrait être ôté car la chose se passe aujourd’hui comme on peut le voir déjà dans bon nombre de pays du Sud notamment.
  • Vous nous indiquez que la quantité de biens produits par habitants n’a cessé d’augmenter depuis la préhistoire, liant juste après ceci au bien-être. Outre le fait que la projection que vous faites de l’économie de marché sur toute l’histoire humaine est extrêmement discutable au niveau philosophique [1], si la croissance était effectivement liée au bien-être, nous serions tous plusieurs fois plus heureux que nos grands-parents. Est-ce vraiment le cas ? La consommation d’antidépresseurs et d’anxiolytiques tend à prouver le contraire (même si cette consommation est bonne pour la croissance économique…)
  • Votre réflexion sur la croissance immatérielle est surprenante tant vous ne traitez qu’à la marge, et comme si il était totalement accessoire, le support matériel indispensable à la croissance de cette pseudo « immatérialité ». Il est bien évident, pour rester dans votre exemple, que pour qu’une musique soit vendue 100 millions de fois sur internet, il faut autant d’internautes équipés d’un matériel d’enregistrement et de lecture. Le coût de la production sera peut-être identique, mais pas le coût de l’usage qui est d’autant plus multiplié que l’écoute et l’enregistrement doit être possible à tout moment, partout et par chacun.
  • Votre affirmation que nous n’exploiterions qu’1 pourcent des matériaux présents dans la croûte terrestre, renvoie à l’idée que tous les matériaux seraient équivalents, ce qui n’est bien évidemment pas le cas. Certains matériaux, et non des moindres pour notre économie, ont déjà été largement consommé (Terres rares, pétrole, …) au point qu’ils viennent à manquer et que la compétition pour les tenir sous son giron augmente sensiblement.
  • Enfin nous constatons que lorsque vous en arrivez à admettre une potentielle limite terrestre, vous nous renvoyez à un univers infini riche en matériaux divers dont nous pourrions avoir besoin sans nous dire comment vous allez résoudre la question énergétique que sous-tend votre suggestion. Comment aller le chercher et le ramener sur Terre lorsque nous n’aurons plus accès à une énergie facilement disponible et bon-marché ? Sans compter qu’imaginer un pétrole extra-terrestre sous-entend qu’il y a eu une vie extra-terrestre.

Nous pourrions démultiplier les réflexions mais nous allons nous arrêter ici

La démesure a souvent mené l’humanité dans une impasse. Nos récits mythologiques sont remplis d’avertissements qui en témoignent. Il est temps que nous nous construisions un nouvel imaginaire pour faire face aux défis de notre temps. En tout cas, c’est ce à quoi nous voulons nous attacher.

M. Gilkinet, J.Ch. Godart, Fr. Lapy, B. Legros, M-E. Tries, E. Vanhassel, J.P. Wilmotte, Objecteurs de croissance

Notes

[1Voir à ce sujet Karl Polanyi, la subsistance de l’homme

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