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mpOC | Posté le 24 mai 2016
Au regard de l’actualité, l’enchaînement
d’évènements (historiques ?) indique qu’une partie
du monde se trouve à un tournant. Une crise,
non pas uniquement économique mais aussi humaine,
se développe dans les soubassements de
nos cultures. C’est ainsi, qu’éperdu au milieu de la
jungle consumériste, affaibli par l’absurdité du
discours sans fond du capitalisme, le contemporain
peine à édifier son existence sur une assise
solide. L’écriture de son histoire en devient compromise.
Il est malade, sa planète aussi. Le pronostic
est hasardeux.
EDITO
À la croisée des chemins
Au regard de l’actualité, l’enchaînement
d’évènements (historiques ?) indique qu’une partie
du monde se trouve à un tournant. Une crise,
non pas uniquement économique mais aussi humaine,
se développe dans les soubassements de
nos cultures. C’est ainsi, qu’éperdu au milieu de la
jungle consumériste, affaibli par l’absurdité du
discours sans fond du capitalisme, le contemporain
peine à édifier son existence sur une assise
solide. L’écriture de son histoire en devient compromise.
Il est malade, sa planète aussi. Le pronostic
est hasardeux.
Les attentats de Bruxelles en mars dernier ont
réveillé, si besoin était, la crainte du spectre du
terrorisme avec toutes les dérives sécuritaires
mises en oeuvre lors de tels évènements.
L’enquête judiciaire afin de punir les têtes pensantes
de ces attaques suit son cours, à l’heure où
les bombes pleuvent sur la Syrie. Les habitants de
cette République vivent au quotidien un « 22
mars », dans le déni presque total du reste du
monde. Pourtant, l’impact de la guerre syrienne
sur les civilisations est colossal, et nous saisissons
d’ores et déjà combien l’envoi des bombes occidentales
facilitent l’endoctrinement de la maind’oeuvre
armée de Daesh. La manière dont
l’Occident gère cette crise en dit long sur sa vision
du monde et sur son décrochage de la réalité.
Le conflit syrien porte en son sein une autre conséquence
considérable : l’afflux de réfugiés vers
des contrées plus sécurisées. Recherchant un peu
de sûreté, des centaines de milliers de personnes
n’hésitent pas à braver les dangers des mers en
colère afin de rejoindre des territoires où ne pullulent
pas les obus. Tous ne ressortent pas vivants
de cette morbide épopée. Quand ces réfugiés ne
sont pas cyniquement perçus comme étant une
plus-value intéressante pour la relance économique
du PIB du pays où ils vont atterrir, ils sont
assimilés à des parasites venant sucer la substance
des États dits civilisés.
Pourtant, il y en a d’autres, des suceurs, et des
vrais. Ils sont tellement doués qu’ils en arrivent à
aspirer jusqu’à la moelle des sociétés ! Le scandale
des Panama Papers montre à quel point le libéralisme
poussé à son paroxysme est délétère. Ainsi,
des vedettes de sport aux célébrités de cinéma, en
passant par des hommes politiques, des multinationales
et des banques, certaines des entités les
plus « illustres » de notre époque se voient incriminées
pour dissimulation de comptes par
l’intermédiaire de création de sociétés offshore,
potentiellement facilitatrices d’évasions fiscales.
Pendant ce temps, on reproche aux réfugiés
d’exploiter les richesses mises à disposition et on
accuse les chômeurs de profiter du système. Le
résultat insensé de cette fantaisie ? La légitimation
sournoise de mesures restrictives et ô combien
aliénantes touchant le domaine du travail
dans sa globalité.
En France [1]
, le texte de Myriam El Khomri, plus
connu sous le nom de projet de loi travail, affiche
ostensiblement les désirs d’un monde avide de
croissance économique. Bien entendu, le tout
s’opère au bénéfice des patrons et des actionnaires,
ce au détriment de travailleurs voyant dès
lors leurs droits drastiquement réduits.
Possibilité offerte aux patrons d’augmenter arbitrairement
la durée des prestations, augmentation
des liens de subordinations des employés à leur
supérieur, assouplissement des critères de licenciement
pour besoin économique de l’entreprise
si celle-ci n’est plus suffisamment concurrentielle
sur le marché. Toute ces mesures, et d’autres encore,
ont été pondues dans le but de renforcer la
compétitivité des entreprises et de « créer » de
l’emploi. Au final, elles ôtent des droits fondamentaux
aux salariés et aliènent ces derniers, encore
plus qu’ils ne l’étaient, au bon vouloir de
leurs maîtres patronaux et actionnariaux.
Les crises sont des moments uniques de l’histoire
individuelle et collective. Si elles peuvent mener
aux pires atrocités, ces périodes sont potentiellement
les témoins privilégiés de réactualisation, de
transformation, d’évolution positive des structures
sociales. Au niveau individuel, elles sont une
forme de passage obligé vers la mise en forme de
l’être. Un instant unique où ce dernier aura la
lourde tâche de surmonter les affres ébranlant
son psychisme afin de poursuivre son processus
d’individuation. A un niveau plus global, si les
crises, comme le mentionne Paul Aries, ont le
plus souvent accouché d’un Hitler que d’un Gandhi, elles n’en sont pas moins des moments particuliers pour la collectivité. Elles incarnent alors une possibilité de dépassement et de révolution effective. Tout dépend évidemment de ce que l’on va faire de l’ébranlement en question : sombrer dans un sommeil profond ou réveiller des par-celles de subjectivités conscientisées et avides d’autonomie.
La loi travail provoque un tollé chez les français, organisant depuis quelques semaines des mani-festations pacifiques nommées Nuit Debout, en réaction notamment à ce projet législatif. La contestation, appelant à la convergence des luttes, réunit plusieurs centaines de milliers de participants sur l’ensemble du territoire hexagonal. Le mouvement prend peu à peu de l’ampleur et trouve de nombreuses ramifications en Alle-magne, au Portugal, en Espagne et surtout en Belgique. D’ailleurs, je reviens d’une Nuit Debout, la première ayant lieu à Louvain-la-Neuve. Une assemblée populaire s’est organisée, chacun étant invité à prendre la parole sur un sujet lui tenant à coeur. Certains discours semblent parfois un peu trop simples et spirituels à mon goût. Néanmoins, une forme de ferveur oxygénante émane de cette soirée. Si l’organisation n’est pas parfaite, notamment dans la tentative d’horizontaliser les prises de décisions, l’ensemble est prometteur et appelle à des rencontres hebdomadaires. Cette décision sera votée par l’assemblée.
Blessés par les actes et le discours du capitalisme, on perçoit l’envie des protagonistes de changer les choses. On sent que le désir de changement est là. La crise humaine et identitaire semble amener son lot de questionnements, avec en corollaire un important désir de compréhension et d’action pour un monde plus juste. Ceci est encourageant.
En crise, la société se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Ces derniers sont nombreux et se tracent en même temps que les pas. Ceux-ci conduiront-ils l’humanité à courber définitivement l’échine face au dieu du libre marché, ou alors la solliciteront-ils de prendre en main les affaires qui la concernent ? Personne ne peut ré-pondre avec certitude à cette question.
Si les travers les plus sournois guettent, l’énergie est belle et bien présente. Elle ne semble pas s’éteindre, la flamme du vivant. Gageons qu’elle réussira à convertir cette ardeur balbutiante en quelque chose de constructif et d’émancipatoire.
La révolution s’aménage de jour en jour, lointaine mais perceptible. On la renifle, on la sent. Mais ce n’est pas tout. Il ne suffit pas d’humer les brizes de contestations. Il s’agira, à un moment donné, de sortir du fantasme pour le rendre effectif. Et de se regarder, droit dans les yeux, ceux-là même qui miroitent depuis des temps ancestraux les désirs d’autonomie les plus profonds.
La crise actuelle peut potentiellement amener son lot de réaménagements libérateurs pour la société. Tout dépend de la manière avec laquelle cette dernière appréhendera le malaise civilisationnel. Afin de promouvoir une issue favorable à celui-ci, chacun devra, inévitablement, y mettre de soi.
Kenny Cadinu
[1] En Belgique, un projet de lois similaire vient d’être mis sur la
table par Kris Peeters, ministre belge de l’emploi. Voir :
http://www.liguedh.be/index.php?view=article&catid=111:petitions&id=2601:petition-loi-peeters-non-merci&tmpl=component&page=